

Le Bien-être animal est défini par l’ANSES comme « l'état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l'animal ». Si les chevaux ne s’expriment pas avec des mots, ils disposent d’un langage non verbal très riche, à travers leurs attitudes, leurs mouvements et leurs expressions faciales. Savoir l’observer et le décoder permet non seulement de mieux comprendre leurs émotions, mais aussi d’assurer leur bien-être et de renforcer la relation avec l’humain. C’est tout l’enjeu des recherches menées par l’INRAE, l’IFCE et la Fédération Française d’Équitation (FFE), qui accompagne la filière dans cette démarche.
Décryptage avec Léa Lansade, docteur en éthologie et directrice de recherche à l’INRAE et Deborah Bardou, éthologue et chargée de mission Bien-être animal à la FFE.
Pour affiner et enrichir la connaissance sur les chevaux, des études scientifiques sont régulièrement menées. « On peut observer les chevaux de plusieurs façons et dans plusieurs situations pour mieux les comprendre : au repos dans leur milieu de vie, lors d’une séance de travail ou encore en se concentrant sur leurs expressions faciales. Tous ces indicateurs apportent énormément d’informations sur l’état de bien-être des chevaux, sur le plan physique comme mental », explique Léa Lansade, docteur en éthologie et directrice de recherche à l’INRAE.
La thèse “Happy Athlète”, menée depuis 2022 par Romane Phélipon, doctorante en éthologie, grâce au financement du fonds de dotation de la Fédération Française d’Équitation EquiAction, en partenariat avec l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) et l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), en fait partie et apporte des réponses et perspectives pour l’ensemble de la filière.
Cette étude inédite étudie et utilise les expressions faciales des chevaux et a développé pour la première fois un outil d’IA pour mesurer scientifiquement l’état de bien-être des chevaux, notamment ceux évoluant au plus haut niveau sportif, comme lors de la préparation aux Jeux olympiques de Paris 2024. Dans ce cadre, des protocoles d’observation ont été établis afin de recueillir des données objectives, permettant aux chercheurs de mieux identifier ce qui contribue au confort, à la disponibilité et à la performance des chevaux.
Observer pour comprendre : du repos à l'entraînement
Observer un cheval, ce n’est pas seulement essayer de déceler un problème ponctuel ou décoder une réaction forte pendant une séance d’entraînement. C’est entrer dans son univers et apprendre à décrypter les signaux qu’il envoie, y compris ceux qui se font discrets. Pour lire correctement l’état de bien-être d’un cheval, deux dimensions complémentaires doivent être prises en compte : son quotidien, qui reflète le respect de ses besoins fondamentaux, et ses comportements à l’entraînement, qui peuvent révéler un inconfort ou une douleur ou au contraire enthousiasme et envie.
Observer le cheval au repos pour mieux satisfaire les besoins
Observer le quotidien d’un cheval, c’est s’intéresser à la façon dont il vit, se nourrit, se déplace et interagit avec ses congénères. Ces observations de terrain ont permis aux chercheurs d’identifier trois besoins fondamentaux, véritables piliers de son bien-être : les 3F, socle du bien-être équin.
Les premiers résultats de Happy Athlète confirment un principe clé : un cheval bien dans sa vie quotidienne est aussi un meilleur partenaire sportif. Le cheval étant un herbivore grégaire, ses trois besoins fondamentaux (3F) doivent impérativement être respectés :
Le respect de ces besoins ne s’oppose pas à la performance, bien au contraire, il contribue à faire du cheval un athlète disponible, concentré et équilibré.
Observer les comportements au travail
L’observation du cheval en activité est tout aussi importante, notamment lors des séances d’entraînement. L’équitation est un dialogue permanent entre le cheval et son cavalier. Lorsqu’ils sont montés, longés, attelés… Les chevaux envoient également de nombreux signaux. En 2022, la Dr Sue Dyson, vétérinaire britannique, a mis au point une check-list permettant de déceler une douleur musculo-squelettique via l’observation de 24 comportements simples à reconnaître : position des oreilles, mouvements de la queue, ouverture de la bouche, irrégularités dans les allures… Toutefois, c’est l’accumulation de ces signaux qui doit alerter sur la présence d’une éventuelle douleur. Cette approche permet d’éviter les mauvaises interprétations/conclusions hâtives : un geste isolé de défense n’est pas forcément le signe d’une souffrance
Une méthodologie rigoureuse pour éviter les erreurs d’interprétation
La check-list, disponible gratuitement en ligne, permet de repérer, après une période d’une dizaine de minutes d’observation, des comportements révélateurs d’un inconfort significatif, susceptibles de signaler une douleur musculo-squelettique. Mais pour que cet outil soit fiable, il est essentiel de respecter une méthode précise.
« L’observation ne doit commencer qu’une fois le cheval échauffé et doit durer environ dix minutes », précise Léa Lansade, directrice de recherche en éthologie. « En effet, si on prend juste quelques comportements sur une séance entière, on peut avoir un résultat erroné. L’observation ne doit commencer qu’une fois le cheval échauffé et elle doit durer environ 10 minutes. Si au moins huit comportements parmi les 24 recensés apparaissent dans ce laps de temps, on peut suspecter une douleur musculo-squelettique. »
Chaque critère doit également répondre à des conditions précises. Ainsi, des oreilles orientées en arrière de la verticale ne sont comptabilisées que si la position est maintenue au moins cinq secondes. De même, la position de la tête en arrière de la verticale d’au moins 10° ou en avant de plus de 30° ne devient significative que si cette posture dure plusieurs secondes. Quant au fouaillement de la queue, il n’est retenu que s’il est répété sans raison apparente, par exemple en dehors de la chasse aux insectes.
« L’important est de comprendre que ce n’est pas un geste isolé qui doit alerter, mais l’accumulation de signaux », insiste Léa Lansade. « Un cheval peut échapper aux aides, changer brièvement sa position de tête ou faire un écart par peur : c’est son mode d’expression et cela n’a rien d’anormal. Mais si ces comportements s’ajoutent à d’autres – oreilles plaquées, bouche ouverte, allures précipitées – alors il faut envisager une douleur sous-jacente. »
Les expressions faciales, un indicateur encore trop négligé
Au-delà de la locomotion et des postures observées, un autre canal de communication mérite davantage d’attention : les expressions faciales. Tout comme l’humain, le cheval manifeste beaucoup d’émotions à travers celles-ci. Ses yeux, ses oreilles, sa bouche ou ses naseaux délivrent des informations précieuses sur son état intérieur.
Dans le cadre de la thèse Happy Athlète, des milliers d’images et de vidéos ont été analysées afin d’établir une grille de lecture scientifique des expressions faciales équines. Cette approche permet de mieux identifier les signaux révélateurs de confort ou à l’inverse d’inconfort, mais aussi d’éviter les confusions entre des attitudes qui peuvent sembler proches à l’œil non averti.
Pour sensibiliser les cavaliers, les enseignants et le grand public, une étude participative via le site « 1 cheval, 1 émotion » a été mise en place. Les résultats montrent cependant que reconnaître correctement les émotions d’un cheval avec une simple photo n’est pas si simple : seuls 44 % des 800 répondants distinguent correctement les expressions faciales et beaucoup peinent à reconnaître les émotions positives, alors que les émotions négatives sont plus facilement identifiées.
Cette difficulté illustre l’importance de développer la formation et la diffusion des connaissances. Comme le souligne Déborah Bardou, éthologue et chargée de mission Bien-être animal à la FFE : « Ces résultats nous rappellent l’importance de renforcer la formation. Début 2026, de nouveaux modules seront proposés sur la plateforme de e-learning FFE Campus, à destination notamment des enseignants, officiels de compétition et dirigeants. Ils sont des personnes clés pour ensuite diffuser ces connaissances auprès de toute la filière ».
Reconnaître et comprendre correctement les émotions du cheval est indispensable pour évaluer son niveau de bien-être. C’est en répondant mieux à ses besoins, en améliorant la qualité des entraînements, en adaptant les activités à ses capacités, que l’on renforce sa relation avec son cheval.
De la recherche à la formation : diffuser et partager les connaissances
De la recherche scientifique à la formation sur le terrain, la Fédération Française d’Équitation (FFE) s’attache à rendre accessibles les avancées autour du langage et du bien-être équin. Ateliers pratiques lors du Generali Open de France, intégration de modules pédagogiques dans les Galops®, formations régionales pour enseignants et officiels : autant d’initiatives pour sensibiliser largement la filière et le grand public.
« Observer et comprendre les signaux envoyés par les chevaux, est une compétence essentielle que chacun peut acquérir. C’est un levier concret pour améliorer le bien-être équin et renforcer la relation humain-cheval », souligne Déborah Bardou, éthologue et chargée de mission Bien-être animal à la FFE.
L’innovation technologique apporte également de nouvelles perspectives. Grâce à l’intelligence artificielle, des modèles d’analyse d’images parviennent déjà à reconnaître certaines expressions faciales mieux que l’œil humain. Ces outils pourraient, à terme, enrichir les formations et compléter le travail d’observation. Mais la technologie reste un appui, non un substitut. Comme le rappelle Léa Lansade, directrice de recherche en éthologie : « Le cheval est un être vivant doté d’une grande sensibilité. Rien ne remplace le contact, l’attention et le ressenti de l’humain à ses côtés. »
Prochains rendez-vous
Léa Lansade présentera une partie des travaux de la thèse “Happy Athlète” à EquitaLyon à la fin du mois d’octobre. Romane Phélipon soutiendra sa thèse le 21 novembre prochain à l’INRAE de Nouzilly (37).